Le Blocus de la Palestine commence ici : Lettre ouverte à monsieur Alain Juppé

Lettre ouverte à monsieur Alain Juppé

Monsieur le maire, monsieur le ministre des affaires étrangères, les 7 et 8 juillet, nous étions sensés prendre l’avion pour nous rendre en Palestine, plus exactement en Cisjordanie, à Bethléem, avec plus de 600 personnes (essentiellement des français, mais aussi des belges, des anglais, des allemands, des états-uniens…) dans le cadre d’une mission intitulée « Bienvenue en Palestine » répondant à l’invitation de personnes et d’associations de la société civile palestinienne de Cisjordanie. Il s’agissait de faire un voyage humanitaire (apporter des jouets, des livres, aider à la plantation d’oliviers), culturel (découvrir les créations artistiques d’associations situées notamment à Bethléem et Jénine), touristique (parler avec nos hôtes palestiniens et leurs amis et partager leurs conditions de vie) et journalistique (témoigner et rendre compte de la vie des palestiniens et de la réalité de l’occupation et de la colonisation en Cisjordanie même).

Vous le savez sans aucun doute, pour se rendre en Palestine, il est obligatoire de passer par l’aéroport de Tel-Aviv, puisque le seul aéroport palestinien a été détruit par Israël en 2000. C’est pourquoi nous dépendions de l’accord des autorités israéliennes pour réaliser ce voyage. Puisque aucun blocus officiel n’existe sur la Cisjordanie, il nous semblait par conséquent logique de déclarer ouvertement nos intentions, pacifistes, tant dans les médias qu’à la frontière israélienne, d’autant que nous avions prévu de ne transiter que quelques heures en Israël : des bus nous attendaient dès notre arrivée pour nous conduire le soir même à Bethléem.

Nous avons donc pris des billets d’avion sur diverses compagnies aériennes (Air Austria, Air France, Allitalia, Easy Jet, Lufthansa, Malév, Swiss Air), avec des escales en Europe, pour nous y rendre. Nous avions tous en poche un passeport valide, un billet d’avion valide et une invitation personnalisée émanant d’une association culturelle de Bethléem, comportant une domiciliation. Nous étions par conséquent tous en règle jusqu’au bout des ongles.

Le 7 juillet, les premiers d’entre nous à partir ont eu la désagréable surprise de s’entendre dire à l’enregistrement que leurs billets Paris-Budapest-Tel Aviv avaient été annulés, même sur le tronçon Paris-Budapest, les compagnies aériennes ayant reçu une liste de 342 personnes, dont nous faisons partie, émanant du ministère de l’intérieur israélien, leur demandant de ne pas nous embarquer.

Cette liste, qui incluait nos numéros de passeport, était accompagnée du texte suivant (une fois traduit) :

Sujet : entrée refusée

« 1. En raison de déclarations de RADICAUX PRO-PALESTINIENS prévoyant d’arriver de l’étranger par des vols commerciaux pour TROUBLER L’ORDRE PUBLIC ET SE CONFRONTER AUX FORCES DE SECURITE A DES POINTS DE FRICTION [déclarations et intentions qui nous sont attribuées à tort], il a été décidé de refuser leur entrée en accord avec notre autorité en vertu de la Loi pour entrer en Israël de 1952.

2. En pièce jointe, une liste de passagers dont l’entrée en Israël sera refusée. En vertu du point 1, il est demandé [aux compagnies aériennes] de ne pas les embarquer sur les vols pour Israël.

3. Ne pas se soumettre à ces directives entraînera des retards pour vos vols et vous obligera à les réembarquer par les vos retour.

4. [en synthèse : d’autres noms seront fournis ultérieurement] »

Les 7 et 8 juillet, toutes les compagnies susnommées ont accédé à la demande israélienne, et aucune des 342 personnes, essentiellement françaises, n’a pu embarquer (notamment à Roissy et Genève), même pour des vols de transit au sein de l’union européenne. Le 8 juillet, à notre arrivée à l’aéroport, vers 4h du matin, une présence massive des Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS) nous attendait également au guichet d’enregistrement.

D’un autre côté, plus d’une centaine de personnes (dont une cinquantaine de français) non inscrites sur liste noire, a tout de même réussi à embarquer pour Tel-Aviv. Elles ont, quasiment toutes, été arrêtées dès leur arrivée, pour avoir déclaré comme but de leur voyage : « je veux me rendre à Bethléem ». Leurs conditions de détention ont été assez sommaires, leurs possibilités de communications très restreintes, il y a eu au moins un cas de violence policière. Pour les français, la visite de la consule de France à Tel-Aviv ne leur a apporté ni information sur leur statut, ni réconfort (déclarant en substance « c’est bien fait pour vous, on vous avait dit de ne pas y aller », ce qui est faux : personne ne nous avait rien dit, à nous).

Monsieur le ministre des affaires étrangères, nous avons des questions à vous poser.

Trouvez-vous normal qu’un pays étranger traite sans la moindre preuve (et pour cause !) des ressortissants français comme des terroristes ?

Trouvez-vous normal que ce pays étranger puisse faire en sorte que des ressortissants français ne puissent effectuer un vol au sein même de l’Union Européenne, voire dans un vol intérieur Lyon-Paris ?

Trouvez-vous normal ce déploiement des forces de police françaises pour faire appliquer une décision israélienne, au frais des contribuables français (tout comme la Grèce a fait la police pour Israël au frais du contribuable grec en empêchant le départ de la flottille pour Gaza) ?

Les compagnies aériennes nous ont dit avoir contacté le gouvernement pour avoir son avis à la réception de cette liste ; celui-ci a avalisé l’interdiction de vol. Dites-nous au nom de quoi cet aval a été donné, alors que cette interdiction était illégale, en vertu, notamment, des articles 225-1 et 225-2 du code pénal français, qui interdisent la discrimination économique sur des critères d’opinion politique ? Quel crime avons-nous donc commis, si ce n’est d’avoir des amitiés avec des pacifistes palestiniens et israéliens?

Monsieur le maire, nous sommes insultés et discriminés d’avoir ainsi été mis sur liste noire, et spoliés de notre plus élémentaire liberté de circulation. Nous demandons, pour rétablir notre dignité, que la France, par votre intermédiaire, condamne fermement le pays qui nous a ainsi interdit de circuler, nous, citoyens girondins. Nous demandons également que la France condamne sans ambiguïté les arrestations qui ont eu lieu à Tel-Aviv, et exige la libération des personnes arrêtées ; la justice israélienne elle-même a admis, le 13 juillet, qu’il était illégal, pour Israël, d’interdire l’entrée en Israël à des personnes au motif qu’elles déclarent vouloir se rendre dans les territoires palestiniens.

Monsieur Juppé, certains des signataires de cette lettre ont déjà entendu directement de votre bouche que vous étiez favorable à ce qu’un état palestinien soit reconnu. Il est temps de le dire publiquement au plus tôt. Et surtout, surtout, d’agir en ce sens. A moins que les intérêts des entreprises françaises qui construisent des trains et des murs en Israël soient plus importants ?

Monsieur le ministre, il y a un blocus imposé par Israël en Cisjordanie malgré les dénégations d’Israël et tous les textes et résolutions internationaux que cela enfreint. Il y a eu des actes illégaux commis à l’encontre de citoyens européens pour asseoir ce blocus. Nous aiderez-vous à le dénoncer, et à développer l’amitié entre les peuples plutôt que la défense des intérêts géostratégiques des états et des multinationales ?

C’est à notre sens, le devoir républicain d’un ministre des affaires étrangères.

Benjamin Caillard et Tarek Raïssi sont maîtres de conférences à l’université Bordeaux 1.

Sakina et Philippe Arnaud sont mandatés pour cette mission par la Ligue des Droits de l’Homme section Bègles, Talence, Villenave d’Ornon. Sakina est secrétaire de la section LDH et Philippe responsable syndical.

Fait à Bordeaux, le 14 juillet 2011
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